Quel est le but de l'adoration et pourquoi doit-on la pratiquer d’une manière précise?
Considérons notre position dans ce monde. Nous ne sommes ni omnipotents ni autosuffisants et nous avons donc des besoins que, pour la plupart, nous sommes incapables de satisfaire. Nous sommes faibles, fragiles et sujets aux soucis, aux maladies et à d'autres événements négatifs. Quand nous regardons la grande abondance des êtres animés et inanimés autour de nous ainsi que leur harmonie et leur ordre formidables, nous ne pouvons nous empêcher de penser à notre propre fragilité et à notre relative insignifiance. Cela réveille en nous un besoin profondément ancré de reconnaître le Divin et d'adorer la grande puissance mystérieuse qui contrôle toute chose. Puisque chaque chose que nous voyons ou touchons est éphémère et dépend d'autre chose, elle n'est pas digne d'être adorée. Ainsi la logique dicte que derrière toutes ces choses existe un Être Suprême, une Volonté Transcendante qui guide et contrôle tout. Cet Être doit donc être le but de notre adoration.
En réfléchissant plus attentivement à la création, nous voyons dans toutes les choses et tous les événements un ordre et une légalité universels ainsi qu'une uniformité, une régularité et une obéissance à une Volonté Toute-Puissante. C'est alors que nous nous rendons compte que toute chose a un rôle dans cette légalité et cet ordre. Ce rôle est son but ou sa fonction. En réalisant que chacun de nous n'est qu'une partie de cet ensemble, nous concluons que l'existence de chaque individu ne peut pas être un simple accident dénué de sens, mais plutôt que chaque individu a un objectif précis et un devoir spécifique à remplir. En termes esthétiques, nous ne pouvons jamais vraiment imiter la beauté de la création. De la forme de notre propre corps jusqu'à la beauté magnifique et vivace des formes et des couleurs innombrables qui nous entourent, sans mentionner celles des étoiles et des planètes, tous éveillent en nous un vif désir de connaître le Créateur. C'est comme si tout avait été conçu et produit ailleurs puis simplement posé devant nous pour que nous les admirions tout en les utilisant et en en tirant profit. Le monde est présenté comme un banquet rempli de nourritures et d'ornements pour notre usage. En nous servant une quelconque de ces faveurs, nous ressentons inévitablement la présence du Donateur et éprouvons ainsi une joie et une admiration encore plus grandes.
En termes religieux, de tels sentiments et conceptions suscités intrinsèquement dans la conscience humaine constituent une étape dans la reconnaissance des Beaux Noms et Attributs du Créateur qui Se fait connaître à travers Sa création. Chaque bénédiction, chaque excellence et chaque beauté parle de Celui qui l'a créée. Chaque système, chaque équilibre et chaque ordre indique Celui qui l'a établi et qui le soutient. En somme, nous nous sentons naturellement reconnaissants pour ce que Dieu nous a offert et ainsi nous adorons cet Être qui S'est fait connaître à nous. En s'appuyant sur cela, les Mou'tazila et dans une certaine mesure les Matouridi,[20] disent que même en l'absence des Prophètes ou des guides spirituels, nous devrions être capables d'acquérir une certaine connaissance de Dieu en observant l'univers, puis nous devrions agir en conséquence. Il y a des preuves qui soutiennent cet argument. Avant l'islam, beaucoup de personnes, y compris Mohammed, étaient nées et habitaient à La Mecque, qui était alors le centre du paganisme et de l'idolâtrie arabes. Personne ne leur a montré le chemin de Dieu ni ne leur a parlé de l'Unité de Dieu.[21] Et pourtant l'histoire rapporte les remarques d'un nomade du désert de cette époque : « Les crottins de chameau indiquent l'existence d'un chameau. Les empreintes sur le sable montrent l'existence d'un voyageur. Le ciel avec ses étoiles, la terre avec ses montagnes et ses vallées et la mer avec ses vagues n'indiqueraient-ils pas l'existence d'un Agent Tout-Puissant, Omniscient, Sage et Bienveillant? » Si même un simple bédouin pouvait comprendre cela, que dire des autres? Que dire de Mohammed, qui allait être un jour désigné pour transmettre la Révélation finale de Dieu? Longtemps avant le commencement de la Révélation, il avait compris la réalité du monde, perçu la Vérité dans le grand Livre de l'univers et s'était mis en quête de la Vérité. Prenant refuge dans la grotte Hira, il se consacra à l'adoration. Aïcha, relatant directement de Khadija, rapporte qu'il se livrait à la prière durant plusieurs nuits, et ne retournait chez lui que pour se munir de provisions.[22] Cela semble indiquer que nous pouvons atteindre un certain degré de connaissance et ainsi adorer Dieu. Zayd ibn Amr, l'oncle d'Omar ibn al-Khattab, arriva à la même conclusion. Bien qu'il mourût avant la Prophétie de Mohammed, il ressentit intuitivement la vérité de l'islam dans l'air, ainsi que le sens et la signification de l'envoi du Prophète Mohammed. Sur son lit de mort, il appela les membres de sa famille et leur dit : « La lumière de Dieu est à l'horizon. Je crois qu'elle émergera entièrement très bientôt. Je ressens déjà ses signes au-dessus de nos têtes ». S'adressant à Dieu, il continua : « Ô Grand Créateur ! Je n'ai pas pu Te connaître complètement. Si je T'avais connu, j'aurais mis mon visage sur terre devant Toi pour ne le jamais relever, en quête de Ton agrément. »[23] Évidemment, une conscience pure exempte de toutes traces de paganisme et de polythéisme peut comprendre sa propre position et son devoir à travers la splendeur et l'harmonie de la création. Ainsi, elle peut chercher à servir et à satisfaire Celui qui a tout créé et ordonné.
La connaissance de Dieu implique de L'adorer. Comme c'est Lui qui nous donne tout, nous sommes obligés de Le servir. L'une des bénédictions qu'Il nous a offerte est la prière. Dieu nous enseigne comment prier pour que nos prières soient correctement et efficacement accomplies. Dieu a enseigné au Prophète à prier, et il nous a été ordonné de suivre son exemple. Il y a certaines règles à suivre. Avant de commencer, nous devons nous purifier avec l'ablution adéquate. Selon les circonstances, cela peut être le ghousl (ablution majeure), le woudhou (ablution mineure) ou le tayammoum (ablution à sec faite en l'absence d'eau). Puis nous disons Allahou Akbar ! signifiant que rien n'est plus grand que Dieu. En nous tenant debout sans bouger, dans une tranquillité et un respect profond, les mains jointes sur notre poitrine, nous montrons notre entière soumission. Se concentrer aussi complètement et profondément que possible nous permet, selon notre niveau de développement spirituel, d'éprouver en notre âme l'ascension du Prophète.
En s'élevant spirituellement, nous nous inclinons physiquement pour renouveler notre soumission et exprimer notre humilité. Ce faisant nous passons à une étape différente de notre servitude et ainsi nous nous prosternons avec une révérence et une humilité plus complètes. C'est là que, selon la profondeur de notre soumission, nous entrons dans différents domaines. Espérant plus de progrès, nous relevons la tête, prononçons quelques mots, puis la rabaissons à nouveau pour la deuxième prosternation. Après quoi nous pouvons ressentir la signification du hadith rapporté dans le Sahih de Mouslim : « C'est quand le serviteur est prosterné dans la prière qu'il est le plus près de son Seigneur. Aussi invoquez beaucoup Dieu quand vous êtes prosternés. » (Riyadh as-Salihin, Hadith 1428) et la signification de : Qui t'observe quand tu te lèves pour prier et qui suit tes mouvements parmi ceux qui se prosternent. (26 : 218-219).
Le meilleur acte d'adoration est la prière effectuée selon les enseignements et la direction de Dieu, car la prière découle de l'amour, de la crainte révérencielle et de la soumission à Dieu – choses engendrées par la connaissance de l'Être Divin et la croyance en Lui. D'ailleurs il plaira plus à Dieu et nous profitera davantage de suivre la méthode prescrite par Dieu et Son Prophète.
Nous avons constamment besoin d'aide, de direction et de conseils. Imaginez qu'un homme d'affaires accompli vous donne gratuitement un bon conseil sur la façon de faire marcher vos affaires. Refuseriez-vous un tel conseil? Si nous prions selon la méthode révélée, nous éviterons les pièges de l'excès et de l'inconvenance et obtiendrons des avantages et des bénédictions qui dépassent notre imagination. Dire Allahou Akbar appelle peut-être la Miséricorde Divine et inspire notre âme à entreprendre un voyage comme l'ascension du Prophète aux cieux. La récitation du chapitre de l'ouverture du Coran (la Fatiha) ouvre peut-être la voix au mystère le plus élevé. Avec chaque mot, chaque geste, chaque mouvement et chaque modèle, nous ouvrons peut-être des portes cachées et des serrures secrètes menant aux royaumes cachés et au bonheur éternel.
La prière redresse tous les chemins tortueux et ouvre toutes les portes. Dieu entend nos récitations et nos supplications, et les anges se rassemblent autour de nous quand nous nous prosternons avec sincérité. Personne ne peut prétendre que de telles choses ne se produisent pas ; d'ailleurs les paroles du Prophète Mohammed les confirment. C'est pourquoi le modèle d'adoration le plus acceptable est celui qui est prescrit par Dieu. Quand nous achetons une chose, donnons-nous nos propres instructions au sujet de son mode d'emploi, ou suivons-nous les instructions fournies par le fabricant? Puisque le Créateur sait ce qui nous fera prospérer dans ce monde et dans le prochain, nous devons suivre ce qu'Il a révélé et la manière dont Son Messager l'a pratiqué dans sa vie quotidienne. C'est nous qui avons besoin d'adorer Dieu ; Dieu n'a pas besoin d'être adoré, Il est exempt de tout besoin.
[20] Deux écoles de pensée qui sont apparues durant les premières années de l'islam. Les Mou'tazila ont utilisé les techniques des arguments de la logique grecque pour attaquer la théologie musulmane orthodoxe. Les Matouridi ont utilisé les mêmes techniques et arguments pour la défendre.
[21] Il n'y avait pas de chrétiens ni de juifs à La Mecque. Les Mecquois qui avaient déduit qu'il doit y avoir un Créateur en observant la nature et qui rejetaient l'idolâtrie étaient connus sous le nom de Hanif. Cependant, ils ne connaissaient rien à propos de Dieu ou des Écritures juives ou chrétiennes. Les païens mecquois, dirigés par la tribu Qoraïche, ne s'intéressaient pas aux croyances des autres peuples et n'avaient donc pas recherché de nouvelles connaissances religieuses. Leurs intérêts principaux se portaient sur le commerce, la guerre avec les autres tribus, la glorification de leurs ancêtres et tout ce qu'ils considéraient être dans leurs propres intérêts. Déjà maîtres de l'Arabie, les Qoraïchites ne ressentaient aucun besoin ni désir d'apprendre quoi que ce soit au sujet des autres peuples.
[22] Boukhari, Kitab al-Wahy, 1, Hadith Numéro 3, Volume 1, Traduit par Harakat Ahmed, al-Maktaba al-Asriyya, Liban, 2001, p. 40.
[23] Ibn Sa'd, Tabakat, 1 : 161-162 ; Ibn Hajar, al-Içaba.
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