Le mouvement Gülen représente une nouvelle expression de l'islam
Les paradigmes occidentaux voient l'histoire des mouvements sociaux à travers un prisme ou un schéma particulier. Ceci vient en partie de l'évolution qu'a suivie l'histoire de la pensée politique en Occident. L'histoire de la pensée politique y a été formée par la combinaison et la succession ou l'affrontement de sectes, d'écoles et de mouvements divers. C'est pourquoi la compréhension occidentale des sciences sociales tend à considérer les mouvements sociaux contemporains à la lumière des développements historiques occidentaux. Elle les considère comme des mouvements qui se succèdent l'un après l'autre, ou comme des expériences qui diffèrent et rivalisent entre elles. Cependant, ni le cadre théorique ni les méthodes de lecture sociales et politiques de ces analyses ne nous fournissent des bases sur lesquelles on puisse analyser les changements sociaux à l'intérieur de la société islamique. Même si ces analyses peuvent être rationnelles, cela ne les empêche pas de se perdre dans des interprétations contradictoires. Si l'on peut dire une chose sur les analyses découlant des paradigmes occidentaux, c'est que l'islam y est considéré exclusivement comme un pouvoir politique et que tous les mouvements sont ainsi réduits à une lutte de pouvoir politique. Il est vrai qu'il existe dans le monde islamique des groupes organisés avec le souci d'un islamisme politique classique. Même si ces mouvements ont de temps à autre acquis une certaine importance à une grande échelle, à long terme ils ne sont pas parvenu à s'insérer dans une quelconque pratique sociale de la société islamique. Le fait qu'ils se réveillent seulement à certaines périodes montre qu'ils n'ont pas de base dans un groupe de membres constant. Pourtant l'attrait d'une idéologie peut se mesurer jusqu'à un certain degré par le point jusqu'où elle s'insère dans les pratiques sociales. L'islamisme n'a pas bénéficié d'un effet constant ou à long terme sur les valeurs centrales des sociétés musulmanes. Même s'il exprime le désir d'une « société islamique » vivant dans l'unité et l'harmonie, il n'a jamais été capable de se débarrasser d'un certain flou social. Tandis qu'il espère agiter et unir différentes classes sociales – les masses rurales et urbaines, les étudiants, les élites politiques et la classe moyenne – son idéologie et son manque de clarté sociale deviennent apparents. Et lorsque ces différentes composantes se mettent à diverger, à s'affronter et à se séparer, le tout commence à s'effondrer si bien qu'il devient impossible de définir les bases sociales de l'islamisme en terme de classes. Dans des pays différents, dans des constellations sociales et politiques différentes, cela a pris des aspects sociaux très divers.
D'un autre côté, il y a eu des mouvements et des ordres religieux dans le monde islamique qui étaient totalement indépendants de toute préoccupation politique ou de toute méthode d'organisation. Alors que ces mouvements agissaient davantage dans la société civile et les espaces sociaux et qu'ils avaient toujours une base constante et plus large dans la société, plus que les mouvements politiques, les paradigmes de sciences sociales et les médias occidentaux n'ont jamais porté une attention suffisante à ces mouvements. Cela ne veut pas dire que les intellectuels ne reconnaissaient pas personnellement la base religieuse de ces mouvements sociaux, mais ils étaient en général des exceptions à la règle. Percevoir l'islam comme une source de pouvoir politique a toujours plus attiré l'attention de l'Occident. Peut-être que l'une des raisons fondamentales de ce fait est que les mouvements politiques de ce type produisaient une forme d'identité et de politique qui était une alternative et une opposition aux valeurs occidentales, à ses pratiques démocratiques contemporaines et à la civilisation occidentale en général. Sous une perspective différente, de tels mouvements offraient un cadre d'analyse plus facile pour la tradition de pensée politique occidentale. L'Occident, en percevant et en dépeignant l'islam comme opposé à toutes sortes de relations humaines et sociales modernes, et en réduisant l'activisme social islamique à des actions agressives et radicales, a toujours été capable de trouver des exemples qui soutiennent ses idées préconçues de la supériorité occidentale sur l'Orient musulman. En conséquence, de telles analyses ont toujours attiré plus d'attention que celles qui cherchaient à comprendre l'islam et la société musulmane de façon positive.
Après le 11 septembre, début d'une nouvelle période de crise dans les relations entre l'Occident et le monde islamique, l'attention se tourna vers d'autres mouvements du monde islamique. Il était devenu clair qu'une crise à long terme dans ces relations menacerait les attentes politiques, culturelles, militaires et économiques de l'Occident concernant la région. Dans le monde musulman, cet intérêt nouveau fut perçu avec un grand scepticisme. Que l'Occident soit intéressé par l'élaboration d'un « islam modéré » fut accueilli avec une suspicion générale dans le monde islamique. Pour ma part, je vois cette recherche comme une initiative qui aurait dû avoir lieu il y a longtemps. Mais en ce qui concerne à la fois notre moment politique international et le bien-être religieux et politique des musulmans dans la région, l'opportunisme d'une telle initiative doit inévitablement jeter une ombre sur certaines des personnes impliquées et nous devons nous interroger sur ses motifs. Pendant des siècles, le visage paisible de l'islam était présent partout dans le monde. Si seulement les sensibilités politiques occidentales avaient pris note de ce fait plus tôt ! À vrai dire il n'y a jamais eu non plus dans le monde islamique un effort cohérent et soutenu ni au niveau politique ni au niveau socioculturel pour engager une relation solide avec l'Occident. Compte tenu des circonstances, pour construire de nouvelles passerelles entre l'Occident et le monde islamique, chaque côté devra revoir ses attitudes et ses héritages religieux, politiques, culturels et historiques et faire une introspection.
Des paradigmes politiques internationaux doivent être trouvés pour élaborer une nouvelle base de dialogue entre les différentes cultures et civilisations, et pour trouver une réponse aux théories qui menacent l'avenir de l'humanité, comme les théories sur le choc des civilisations. Sinon les mythes et les théories sur ces chocs qui sont aujourd'hui florissants et en expansion vont continuer à se développer de plus en plus. Les théories de Huntington sur le choc des civilisations ont provoqué un déluge de discussions et touché diverses sensibilités dans le monde entier. Face à de tels développements, élaborer une attitude et une sensibilité politiques et sociales appropriées va nécessiter un mouvement de synergie à l'échelle mondiale. À cet égard, le mouvement de M. Fethullah Gülen est l'un des rares mouvements sociaux et l'une des rares initiatives individuelles du monde musulman à rechercher une nouvelle manière de faire rencontrer l'Occident et l'islam, en offrant des possibilités sociales, non militaires et culturelles. Le mouvement Gülen est un fait nouveau rare qui met les composantes sociales et culturelles de la tradition islamique face aux valeurs modernes et encourage l'engagement dans une interaction positive. Il a créé un large processus de dialogue dans les domaines éducatifs, religieux et sociaux à travers des régions aux cultures et civilisations différentes. À cet égard, M. Fethullah Gülen peut être crédité d'avoir développé avec succès une expression positive et dynamique de l'islam capable de faire face au monde moderne occidental et de s'y engager à l'égal des plus grands mouvements sociaux et religieux occidentaux. Son émergence dans le débat de la communauté internationale représente un développement nouveau avec un énorme potentiel pour construire des liens qui peuvent aider l'Occident à créer avec succès de nouvelles relations amicales avec l'islam et le monde musulman, basées sur un engagement sincère et profond. C'est pourquoi il est extrêmement important que le mouvement ne soit pas mal compris et qu'il soit reconnu comme une initiative sincère et sérieuse. Cela ne dépend en aucun cas seulement du fait que ce mouvement soit considéré conforme à l'apparente préférence idéologique occidentale contre l'islam modéré en tant que pouvoir politique. Je crois plutôt que l'on doit considérer la nécessité et l'importance de ce projet pour l'humanité en général, un projet qui a été élaboré dans le cadre du dialogue et de la tolérance entre les différentes cultures et civilisations et qui a enthousiasmé des intellectuels, des hommes politiques, des philosophes, des ecclésiastiques et des hommes de médias à l'échelle mondiale.
En effet Gülen a créé une organisation sociale et civique qui se distingue clairement des mouvements politiques en grande partie islamistes du monde musulman. Il n'a jamais soutenu d'initiative politique ni donné son appui à des tentatives de formation d'un parti politique, et il est certain qu'il ne le fera jamais. Il n'a jamais, personnellement ou collectivement, été impliqué dans une activité politique directe. Les initiatives politiques ont tendance à être des aventures de courte durée. Au lieu de cela, Gülen se concentre sur des contributions à long terme à la vie sociale et culturelle d'une société croyante, sur des idéaux qui vont faire d'un peuple déjà fidèle des croyants sincères et ouverts à toutes sortes d'interactions sociales humaines, éthiques, positives, sincères et remplies d'amour et d'enthousiasme. En tant que simple homme et simple citoyen, il s'est fermement décidé il y a longtemps à se consacrer exclusivement à des initiatives non gouvernementales et sociales. Travailler dans ce domaine exige un véritable sacrifice de soi et de plusieurs années de sa vie sans attendre quoi que ce soit en retour, et nécessite des hommes dévoués qui se consacrent à l'amélioration de la société et à la construction d'un avenir meilleur. Les inquiétudes politiques quelles qu'elles soient sont toujours indissociables d'une sorte d'espoir. Mais Gülen enseigne à ses pairs qu'un musulman, qu'un croyant sincère ne devrait pas attendre de compensation de la part de la société. C'est pour cette raison que le mouvement de Gülen se tient à l'écart de tout programme politique direct ou indirect, à la fois dans le présent et dans le futur, et qu'il est complètement indépendant.
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